Pr Martine Duclos

Numéro 1, juin 2016

Présidente du Comité scientifique de l’Onaps, médecin du sport et physiologiste, professeur des universités, praticien hospitalier, chef du service Médecine du sport et des explorations fonctionnelles au CHU de Clermont Ferrand et conseillère scientifique auprès du ministère en charge des sports.

Ce mois ci, rencontre avec Martine Duclos, présidente du Comité scientifique de l’Onaps, médecin du sport et physiologiste, professeur des Universités, Praticien Hospitalier, chef du service Médecine du Sport et des explorations fonctionnelles au CHU de Clermont Ferrand et conseillère scientifique auprès du ministère Sport.

Pouvez vous donner une définition de l’activité physique ?

La définition générale est celle de l’Organisation Mondiale de la Santé : tout mouvement lié à l’activité des muscles et qui va induire une dépense énergétique supérieure à la dépense énergétique de repos. De façon simple, nous faisons de l’activité physique dès que nous sommes debout et que nous commençons à bouger. L’activité physique est caractérisée par une durée, une intensité et une fréquence. Par exemple, lorsqu’il est recommandé de pratiquer « 30 minutes d’activité physique à intensité modérée 5 fois par semaine », la durée est donc d’au moins 30 minutes à chaque fois, avec une intensité modérée et une fréquence d’au moins cinq jours par semaine.

Quand est-ce que nous bougeons ?

Nous faisons bouger nos muscles dès lors que nous sommes debout et que nous commençons à avoir un mouvement musculaire. Ainsi, nous pouvons bouger dans plusieurs cadres :

  • Dans le cadre de la vie professionnelle : du fait de l’évolution de la technologie, très peu de gens bougent au travail (moins de 10%). Nous sommes pour la plupart sédentaires car nous passons un temps important assis derrière un bureau. Néanmoins, certains métiers plus manuels comme ceux du bâtiment permettent d’avoir une activité physique professionnelle.
  • Dans le cadre des déplacements : nous avons une activité physique lorsque nous nous déplaçons de manière active, c’est à dire en marchant, en faisant du vélo ou encore du roller. Il peut s’agir de déplacements actifs pour se rendre au travail, pour amener les enfants à l’école ou pour aller faire quelques courses. Lorsque nous utilisons une voiture ou un deux roues motorisés lors de nos déplacements, nous n’avons pas d’activité physique.
  • Dans le cadre des loisirs : nous pouvons évidemment pratiquer un sport mais celui ci n’est qu’une des composantes de l’activité physique de loisirs. En effet, le jardinage ou le bricolage, par exemple, permettent également d’avoir une activité physique.
  • Dans le cadre de la vie domestique : le ménage, qui n’est pas, comme on le sait, une activité réservée au sexe féminin, constitue une activité physique d’intensité modérée. Réalisée à raison de 30 minutes presque tous les jours, le ménage est une activité physique non négligeable.

Il y a donc quatre catégories d’activité physique et lorsque nous faisons le point, la première chose à faire pour caractériser notre activité physique et/ou l’augmenter est de considérer notre environnement quotidien. Ainsi, nous pouvons augmenter notre activité physique quotidienne en préférant les déplacements actifs, en utilisant les escaliers systématiquement, en allant chercher des papiers à une photocopieuse située plus loin, etc. Différents moyens sont donc possibles pour augmenter progressivement notre activité physique quotidienne. Une fois que l’habitude est prise et que nous nous sommes reconditionnés à un mode de vie quotidien plus actif, il est possible d’envisager de pratiquer une activité physique un peu plus structurée qui nous plaise et qui soit vraiment consacrée à nous-même.

Est ce qu’il y a un moyen simple pour déterminer notre niveau d’activité physique ?

Il peut paraître difficile d’évaluer le temps lorsqu’il est recommandé de pratiquer « 30 minutes d’activité physique d’intensité modérée », parce que ces 30 minutes peuvent être fractionnées en périodes de 10 minutes, voire moins, ou correspondre à 20 minutes d’activité physique intense. Monter les escaliers, par exemple, constitue une activité physique intense. Néanmoins il est difficile de savoir combien nous montons d’étages par jour (si on joue le jeu de remplacer systématiquement les ascenseurs par les escaliers quand on a un ou deux étages à monter). Ainsi, un moyen simple pour déterminer notre niveau d’activité physique est d’avoir un podomètre qui donne une idée du nombre de pas que nous faisons par jour.
Attention cependant de ne pas tenter à tout prix d’atteindre la recommandation des 10 000 pas par jour. En effet, cette valeur de 10 000 pas provient d’études menées au Japon lors des jeux Olympiques de 1964. Or, les caractéristiques des Japonais, leur régime alimentaire et leur mode de vie ne correspondent pas à ceux des pays occidentaux. Faire 10 000 pas correspond environ à une heure, une heure et demie de marche à rythme soutenu, en moyenne, et dépend fortement de la taille de l’individu.
Néanmoins, le podomètre reste un outil utile. En effet, s’il vous indique que vous faites 3 000 pas par jour, cela montre que vous êtes bien en-dessous des recommandations. Ainsi, vous voyez d’où vous partez et vous pouvez vous fixer un objectif atteignable et raisonnable. Par exemple si vous faites 3 000 pas par jour, vous pouvez essayer de passer à 5 000 pas la semaine suivante, et ainsi de suite au cours du temps. Le podomètre vous permet de savoir où vous en êtes, de vous fixer des objectifs et d’arriver à atteindre progressivement les recommandations.
Ensuite, vous pourrez augmenter votre niveau d’activité physique grâce à une activité un peu plus ludique : soit plus structurée au sein d’une association sportive ou dans un club, soit avec des amis pour aller faire de la marche, du vélo ou pratiquer un jeu d’équipe. Un grand nombre de possibilités nous sont offertes pour augmenter notre niveau d’activité physique.

Pouvez-vous me donner une définition de la sédentarité ?

Un individu est considéré comme inactif physiquement dès lors qu’il a un niveau d’activité physique inférieur aux recommandations d’activité physique, en termes de durée, d’intensité et de fréquence. C’est-à-dire qu’il fait moins de 150 minutes d’activité physique d’intensité modérée par semaine, soit moins de 30 minutes d’activité physique d’intensité modérée cinq fois par semaine ou moins de 30minutes d’activité physique de forte intensité trois fois par semaine, ou un mélange des deux.

La sédentarité quant à elle correspond au temps que nous passons assis pendant notre période d’éveil : lors des déplacements, au travail, chez nous, durant nos loisirs… En France, le temps moyen passé assis est supérieur à 10 heures les jours travaillés : 1,5 heure pour les déplacements + 6 heures au travail + 4 heures le soir devant des écrans (télévision, ordinateur, jeux vidéo y compris chez les adultes). Les jours non travaillés, le temps passé assis moyen s’élève à 5-6 heures, ce qui est beaucoup trop.

Ces chiffres importants nous poussent à nous intéresser à la sédentarité depuis 2010. Les études montrent que la sédentarité, donc le temps passé assis, est un facteur de mortalité et de maladies (maladies cardiovasculaires, diabète, obésité, certains cancers) indépendamment de notre niveau d’activité physique. Ainsi, même si nous avons un niveau d’activité physique qui suit les recommandations, plus nous passons de temps assis plus nous avons un risque de mortalité précoce et de développer ces maladies chroniques. Une des priorités actuelles est donc de trouver des solutions pour que les travailleurs de bureau, entre autres, soient moins sédentaires et respectent les recommandations pour être moins inactifs.

Est-ce qu’il y a des projets de recherche ou cohortes en ce moment qui vont dans ce sens ?

Il existe des cohortes qui étudient l’activité physique sur de grandes populations, en France et dans d’autres pays, comme la cohorte Whitehall en Angleterre qui suit les fonctionnaires ou la Nurse Health Study sur les infirmières américaines. Ce sont des cohortes qui ont plus de 30 ans de suivi. Il existe des cohortes en fonction de l’âge, du sexe, de la population, des facteurs de risques, etc.

Le facteur sédentarité commence seulement à apparaître depuis 2010 dans les études. En France, nous sommes en retard à ce sujet, très peu d’études incluent ce facteur sédentarité. L’étude Nutrinet aborde ce facteur mais le problème est qu’il s’agit de questionnaires : les participants rapportent ce qu’ils estiment être leur sédentarité, avec toutes les limites et les biais des questionnaires, mais cela reste des éléments intéressants. D’où l’intérêt pour l’Onaps de colliger à travers l’observatoire toutes les données qui ont pu être recueillies dans toutes les bases de données qui n’ont pas forcément été exploitées. Ainsi, nous pourrons avoir un maximum de données sur la sédentarité mais aussi sur l’activité physique ou l’absence d’activité physique en France et sur tous les paramètres de santé. Cela nous permettra d’étudier les effets délétères de la sédentarité, les effets protecteurs de l’activité physique et cela en fonction des populations et des facteurs de risques.

Peut-on néanmoins évaluer l’état de santé des Français par rapport à l’activité physique et la sédentarité ou manque-t-on trop de données ?

Nous avons beaucoup de données sur l’activité physique mais nous manquons de données médico-économiques, qui permettent de montrer l’impact sur les économies de santé de l’augmentation de l’activité physique. Même si nous avons peu d’études, principalement nord-américaines, qui montrent le lien avec les coûts de santé, les études de suivi montrent très clairement que l’activité physique diminue la mortalité précoce et la survenue de pathologies, et de fait les coûts de santé. C’est d’ailleurs pourquoi la nouvelle loi de santé en France est enfin orientée vers la prévention. En effet, notre mode de vie, qui associe alimentation trop riche en sucres raffinés et en graisses, inactivité physique et sédentarité, participe à l’émergence des maladies non transmissibles (obésité, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires et certains cancers). Or, puisque nous avons les moyens de le faire, prévenir ces maladies plutôt que de les traiter – ce qui coûte extrêmement cher – apparaît comme la meilleure alternative.

En France, nous sommes très avancés sur la prévention par l’alimentation. Néanmoins, alors que nous sommes au courant des messages de prévention, nous subissons également une stimulation permanente, qu’elle soit visuelle (vitrine des magasins, publicité…) ou auditive. Il avait été chiffré qu’un Français au cours de sa journée recevait plus de 500 stimuli vis-à-vis de l’alimentation. Que ce soit en se promenant dans la rue, en passant devant les boulangeries ou devant des panneaux publicitaires, en regardant la télévision ou en écoutant la radio, il est impossible de ne pas penser à la nourriture.

Une bonne alimentation, est nécessaire mais ce n’est pas suffisant, et on en revient donc aux fondamentaux de l’activité physique, d’autant plus que lorsque nous nous bougeons nous nous intéressons un peu plus à ce que nous mangeons. En effet, quand nous sommes mieux dans notre corps nous avons plus envie de faire attention à notre alimentation, d’autant plus que l’activité physique ne fait pas perdre de poids. L’activité physique agit non pas sur la composante des dépenses énergétiques mais sur la composante métabolisme, sur l’effet vasculaire, l’effet de bien-être, la diminution du stress, la qualité du sommeil et l’augmentation de la masse musculaire- un acteur majeur de notre santé et totalement oublié.

Comment placer les activités physiques et sportives au coeur de la prévention ? Quels acteurs mobiliser ?

Il faut mobiliser tous les acteurs ! Les déterminants de l’activité physique sont multisectoriels. Il faut tenir compte de la génétique, du milieu culturel, du milieu social, de l’environnement familial, de l’urbanisme. On ne bouge pas de la même façon dans un quartier résidentiel avec espaces verts que dans un quartier où à partir de 17 heures on risque de se faire agresser, où il y a de la drogue, etc. Les composantes sont multiples, on sait maintenant que pour faire bouger les gens, la prise en charge doit passer par :

  • les professionnels de santé, qui vont transmettre l’information, en particulier aux personnes malades, qu’avoir une activité physique est bon pour la santé, sans danger et qu’elle peut être adaptée à tous ;
  • l’éducation, à la santé et à l’activité physique, qui devrait démarrer à l’école ;
  • l’urbanisme, pour réaliser des villes où il est facile de marcher, avec des pistes cyclables, des trottoirs accessibles, des parcs, du petit habitat collectif relié aux transports et aux différents services et aménités de la ville;
  • les élus, qui doivent favoriser cet accès, qui vont donner un accès aux infrastructures sportives en dehors des heures d’ouverture classiques…

Typiquement quelles sont les problématiques rencontrées par le médecin traitant lorsqu’il essaye d’aborder ce point avec le patient ?

Le médecin traitant rencontre plusieurs difficultés. Tout d’abord sa propre conviction : il manque de formation,. Maintenant les médecins vont avoir formation sur le rôle de l’activité physique dans leur cursus. La seconde difficulté rencontrée par le médecin est le manque de temps. En effet, une consultation dure en moyenne 10 à 12 minutes, or une prescription d’activité physique nécessite du temps : il faut expliquer au patient les bénéfices, il faut faire une prescription, il faut évaluer le niveau d’activité physique du patient, sa condition physique, ses goûts, ses possibilités, puis il faut l’orienter. Une telle consultation durerait 40 minutes, mais payée 23 euros avec 18 personnes dans la salle d’attente, c’est impossible.

Aujourd’hui, la loi de santé vient de changer pour les patients en ALD : le médecin traitant peut prescrire une activité physique à un patient et l’orienter vers une personne référente qui assurera la mise en place de cette prescription. Le médecin rassure le patient sur sa pathologie en lui expliquant que l’activité physique est bonne pour lui, en levant les freins par rapport à sa maladie, en lui disant par exemple que l’activité physique ne va pas induire d’infarctus, de crise hypertensive ou d’hypoglycémie pour un diabétique, etc. Il va ensuite l’orienter vers un professionnel de l’activité physique qui va évaluer son niveau d’activité physique et de sédentarité, ses capacités physiques, etc. Ce professionnel aidera ensuite le patient à choisir une activité en fonction de ses goûts et des possibilités locales. Il existe en effets des structures référencées en sport santé, qui s’occupent spécifiquement des personnes qui veulent pratiquer une activité physique pour leur santé et non pas à des visées de compétition. Les décrets d’application de cette loi devraient sortir rapidement précisant quels professionnels peuvent assurer la prise en charge par l’activité physique des malades.

En raison du nombre croissant de pathologies liées à l’inactivité physique et à la sédentarité, chacun doit être acteur de sa santé et cette action passe par la mobilité, l’activité physique et la nutrition.

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