JEAN-MICHEL OPPERT

Numéro 4, février 2017

Professeur de Nutrition à l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) et chef du service de Nutrition de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP).

Quelle influence a l’espace de vie (logement, urbanisme, lieu de travail, transport) sur la sédentarité ? Sur l’activité physique ?

La première chose à signaler, c’est que la recherche dans ce domaine concerne beaucoup plus l’activité physique que la sédentarité. Ensuite, à propos de l’espace de vie, il est nécessaire de le définir, vous aviez une définition je crois ?

J’englobais dans cette notion, tout ce qui est lié à l’urbanisme, au logement, au lieu de travail, au transport.

Oui c’est cela. Avec l’urbanisme, il y a aussi toute l’organisation de la ville en termes d’espaces verts, de lieux récréatifs ou sportifs. Les éléments en lien avec l’activité physique et l’espace de vie tournent autour des concepts de marchabilité et d’accessibilité.

La marchabilité peut être décrite par la possibilité d’avoir accès facilement à des destinations, des lieux, des services où l’on va pouvoir faire différentes choses. Elle est définie par une bonne inter-connectivité dans la ville, qui permet d’aller facilement d’un endroit à l’autre, sans coupure urbaine, et aussi par le fait d‘avoir une densité résidentielle plutôt élevée. Cet aspect a son importance car si les habitations sont très espacées les unes des autres, cela ne favorise pas l’activité physique au quotidien car les gens vont plutôt se déplacer en voiture. Il a été montré que tous ces éléments du cadre de vie sont associés à plus d’activité physique via la marche. Il s’agit d’éléments d’urbanisme appelés aussi « environnement construit ».

Il y a une autre notion importante : l’accessibilité. On peut penser qu’avoir accès à des équipements sportifs, récréatifs ou à des espaces verts peut favoriser l’activité physique. C’est difficile à mettre en évidence car il y a beaucoup de facteurs qui influencent cette relation. Le facteur vraiment important est le niveau socio-économique, soit des individus, soit de façon plus globale celui des quartiers : il peut y avoir un lien entre ce qui est accessible et ce qu’on fait, mais ce lien est modulé par le niveau socio-économique.

Par exemple, si vous êtes d’un niveau socio-économique élevé, même si des équipements sont loin, vous pourrez quand même vous y rendre parce que vous aurez les moyens de vous déplacer. Mais quand les individus, ou les quartiers, sont de niveau socio-économique faible ou défavorisé, les notions d’accessibilité et de proximité ont une influence sur l’utilisation des équipements.

Ainsi, sur le lien entre environnement et comportements, ce qui a été le plus étudié, c’est la pratique de la marche avec les aspects physiques de l’environnement, l’« environnement construit ». Et nous savons que c’est modulé par le niveau socio-économique et par la perception que les résidents ont de l’existence et de l’accessibilité des équipements. Il peut y avoir des choses près de chez vous mais si vous ne le savez pas ou si vous en avez une perception plutôt négative, vous n’irez pas. Il y a donc une intrication entre ce qui existe objectivement et la perception de ce qui existe.

Donc clairement, la perception de son environnement quotidien va avoir une influence sur un comportement plutôt sédentaire ou plutôt actif ?

Il faut définir la sédentarité car nous ne parlons peut-être pas de la même chose. Ici nous parlons de l’activité comme étant d’inactif à très actif physiquement, et de la sédentarité comme étant toutes les occupations qui ne dépensent pas d’énergie, typiquement le temps assis. Disons que dans ce domaine-là quand nous parlons de la sédentarité ce n’est pas l’équivalent de l’inactivité.

Par exemple pour avoir un environnement bâti favorable à un mode de vie actif, cela demanderait plus d’espaces verts, des trottoirs larges…

Oui, des pistes cyclables bien identifiées, une certaine sécurité et puis il faut quand même qu’il y ait des équipements, des services, des commerces, car on ne se déplace pas juste pour se déplacer, on se déplace pour aller quelque part. Il s’agit de ce que les urbanistes appellent des destinations, c’est-à-dire tous les endroits où l’on peut aller, et c’est pour cela que c’est lié à la densité résidentielle.

Par rapport à notre environnement de vie quotidien, est-ce que les villes françaises accusent un retard au niveau de l’aménagement ou est-ce qu’elles sont plutôt leader par rapport à d’autres villes d’Europe ?

Je pense que c’est très variable en fonction des villes et régions. Certaines villes ont fait des efforts spécifiques pour favoriser les déplacements actifs, en particulier en centre-ville. Des systèmes de vélos en libre-service de type vélib’ existent seulement depuis une dizaine d’années dans les grandes villes, mais nous ne les retrouvons pas dans toutes les villes de taille moyenne.

D’autres pays ont soit des traditions de modes actifs, soit ont vraiment investi sur ce point.

La Hollande fait incontestablement partie des pays ayant une tradition cycliste, donc c’est facile de se déplacer à vélo et cela fait partie de la norme. C’est un autre aspect important. Le pays est organisé pour cela, il y a d’importantes gares à vélos à côté des gares routières ou ferroviaires, il y a des pistes cyclables bien aménagées, des « autoroutes à vélo » …

Un autre exemple d’une ville qui a massivement investi dans le transport actif, c’est Copenhague. À nouveau, il est très facile de se déplacer à vélo et il y a une proportion beaucoup plus importante qu’en France de déplacement actifs et en particulier en vélos : 20 à 30% de la population se déplace à vélos tandis qu’en France nous sommes aux alentours de 5%.

Il y a donc des axes de progression et d’amélioration…

Oui et puis je pense qu’il y a des disparités importantes en fonction des zones géographiques.

Vous avez travaillé sur l’étude Éliane (étude des liens entre activité physique, nutrition et environnement physique et comportements alimentaires et activité physique), quelles sont vos conclusions ?

J’étais le coordinateur de l’étude Éliane qui rassemblait plusieurs équipes de recherches et plusieurs partenaires.
Nous avons constaté que le niveau d’activité physique pouvait varier en fonction de l’accessibilité à des équipements et surtout en fonction du statut socio-économique de la population. Nous nous sommes concentrés sur les enfants pour cette étude. Nous avons pu prouver ce point avec des donnés françaises chez les enfants.

C’est un résultat important que nous avons mis en évidence. C’est un point essentiel car il démontre qu’il faut avoir une approche large : si l’on veut savoir comment favoriser le transport actif et l’activité physique, il faut prendre en compte de nombreux déterminants de l’environnement physique mais aussi de l’environnement social et économique.
Le deuxième enseignement est que les données dont on disposait à l’époque, (le projet Éliane s’est déroulé en 2007-2011 et 2008-2012) étaient insuffisantes. Nous avons travaillé à partir de données collectées dans différentes études en France relevant du domaine de l’activité physique mais aussi de la nutrition, pour essayer de comprendre l’influence de l’environnement. Or comme elles n’avaient pas été collectées dans ce but, elles étaient insuffisantes.
Il a fallu collecter des nouvelles données. C’est ce que nous avons fait depuis dans différents projets, en particulier dans un projet qui s’appelle Acticité.

C’est un projet financé par l’Institut National du Cancer (Inca) dans lequel on a pu collecter les données sur l’activité physique, le transport actif et l’environnement en utilisant la cohorte Nutrinet.

Je travaille avec l’équipe de Serge Hercberg et nous avons envoyés aux participants, les Nutrinautes, deux questionnaires détaillés : un questionnaire sur l’activité physique, le transport actif et la sédentarité et un questionnaire sur l’environnement de vie. Nous en sommes au début car la collecte de données est longue, mais nous avons des données sur plus de 50 000 personnes en France. Désormais, dans le cadre de cette cohorte, nous avons des données qui nous permettent de mieux approcher les facteurs d’environnement qui favorisent l’activité physique et les transports actifs.

Jusqu’à maintenant, nous avons fait des analyses sur l’activité physique et le transport actif, pour voir comment les résultats variaient en fonction de l’âge, quels étaient les facteurs associés… Nous avons observé aussi la sédentarité, les différents types de sédentarité, le temps assis au travail pendant les loisirs, les hommes, les femmes, les jours de semaines, les jours de weekend etc…

Nous avons essayé de décrire la situation et avons commencé des études où nous cherchons à déterminer l’influence de l’environnement sur les transports actifs (marche et vélo combinés). Par exemple, en région parisienne, nous avons vu que la densité résidentielle était assez fortement associée aux transports actifs, mais lorsque nous avons regardé en détail la carte de la région parisienne, nous avons observé des variations entre Paris et sa banlieue. Cela signifie qu’il y a des variations d’intensité dans cette relation entre la densité résidentielle et le transport actif et donc en fonction de votre lieu de résidence, vous êtes dans un endroit où cela est plus fortement lié qu’à d’autres.

Je pense que l’on peut avoir l’idée de favoriser l’activité physique et les transports actifs mais les solutions seront d’abord locales.

Et puis il y a un autre projet auquel nous avons participé à la suite du projet Eliane. C’est un projet européen qui s’appelle Spotlight, lié à l’obésité, où sont donc abordés à la fois l’alimentation et l’activité physique… Nous avons développé de nouvelles méthodes pour évaluer l’activité physique plus précisément et évaluer l’environnement. En particulier, dans ce projet Spotlight, nous avons évalué l’environnement en utilisant Google Streets. Nous avons créé une grille spécifique d’analyse des rues, en lien avec l’environnement obésogène, en lien avec l’activité physique, la sédentarité, l’alimentation. Nous avons fait cela dans cinq pays européens.

Voulez-vous ajouter quelque chose pour conclure cet entretien?

Nous avons surtout parlé de l’activité physique et du transport actif. La sédentarité est un autre sujet finalement avec le temps passé assis ou sur les écrans. Il y a certainement des éléments de notre environnement de vie qui influent là-dessus et qui ne sont pas forcément les mêmes que pour l’activité physique. Je pense qu’une nouvelle génération d’études et de recherches se mettra en place pour mieux comprendre les facteurs d’environnements associés à la sédentarité. Parmi ces facteurs, certains sont liés au travail parce que l’on passe beaucoup de temps assis au travail, une partie est liée aux transports mais aussi l’aménagement intérieur. Mais jusqu’à maintenant, nous nous sommes plutôt intéressés à l’aménagement extérieur.

Est-ce que vous pensez que cela pourrait être votre prochain sujet d’études ?

Cela pourrait en faire partie (rires) mais disons que je m’intéresse principalement aux questions de nutrition et d’obésité. Je pense que ce qui est intéressant, c’est d’avoir une approche globale sur comment l’environnement de vie, comment l’espace de vie peuvent favoriser de façon générale un comportement favorable à la santé (l’activité physique, la sédentarité, les habitudes alimentaires, le sommeil…). C’est un ensemble de comportements qui vont être impactés par l’environnement de vie et c’est cela qui m’intéresse : essayer de comprendre le profil, le style de vie de façon globale des individus.

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