La parole est donnée à…

David Thivel

Maitre de conférences HDR, Laboratoire AME2P/CRNH Auvergne, spécialiste des adaptations nutritionnels aux activités physiques et comportements sédentaires des enfants et adolescents, particulièrement dans le cadre de l’obésité pédiatrique.

Vous êtes spécialiste des impacts de l’activité physique sur le profil métabolique des enfants et des adolescents, particulièrement dans le cadre de l’obésité pédiatrique. Pouvez-vous nous présenter cette problématique et les études que vous menez dessus?

L’obésité pédiatrique est dans sa définition similaire à l’obésité de l’adulte, c’est-à-dire que c’est une accumulation excessive de masse grasse qui nuit à la santé de l’enfant et de l’adolescent. Néanmoins, par rapport à l’adulte, les phases sont dynamiques. Non seulement l’obésité pédiatrique s’installe avec l’âge, avec le temps, mais en plus, de nombreuses dysfonctions métaboliques vont se développer. Il faut essayer d’empêcher leurs installations à long terme et trouver le côté réversible. Nous luttons contre une dynamique pour prévenir l’accumulation de masse grasse, mais aussi et surtout aujourd’hui contre les troubles métaboliques, qui apparaissent de plus en plus tôt, avant qu’ils ne s’instaurent pour l’ensemble de la vie de l’individu.
Dans notre équipe, nous avons deux grandes orientations complémentaires. Le premier axe de travail est académique, mécanistique, sur la régulation de l’appétit : comment la dépense d’énergie, l’exercice physique et les comportements sédentaires affectent la régulation de la prise alimentaire et de l’appétit chez le sujet obèse en général, mais surtout chez l’enfant. Le deuxième axe porte sur les effets des prises en charge multidisciplinaires de l’obésité de l’enfant, selon les modalités d’exercice, le type de régime alimentaire, la chronobiologie, c’est-à-dire le timing entre les repas et le temps d’exercice. Nous étudions aussi bien la condition physique de l’enfant, ses capacités aérobies ou ses capacités musculaires que son profil métabolique, sa composition corporelle, son bien-être ou encore sa qualité de vie et son sommeil. Le laboratoire AME2P est composé de trois programmes différents. Le nôtre s’intéresse aux adaptations que je viens de citer (métabolique, fonctionnelle, énergétique, nutritionnelle…) au déficit énergétique engendré par l’exercice physique et/ou par une restriction alimentaire. C’est typiquement le cas des prises en charge multidisciplinaires.

En quoi mieux comprendre les liens entre activité physique, sédentarité et alimentation permet-il de prévenir la prise de poids et de traiter l’obésité et le surpoids chez les jeunes ?

Nous savons aujourd’hui que notre niveau d’activité physique et notre niveau de sédentarité vont influencer notre contrôle physiologique et notre contrôle cognitif de l’appétit, c’est-à-dire comment nous intégrons nos sensations de faim, comment nous les interprétons et comment notre cerveau les écoute.

Les liens entre activité physique, sédentarité et alimentation sont donc nombreux. Ils existent aussi chez l’adulte mais il y a quelques spécificités chez l’enfant puisqu’ils sont sur des phases dynamiques au niveau physiologique et que tous les systèmes ne sont pas encore « ancrés ». Pendant longtemps, nous avons considéré que l’activité physique était une source de dépense d’énergie, que l’alimentation était une source d’apport d’énergie et que notre balance énergétique résidait de l’équation entre les deux. En fait, c’est beaucoup plus complexe que cela puisqu’en fonction du type d’activité physique réalisée, de son intensité, ou encore du moment où elle est pratiquée dans la journée, la prise alimentaire va être indirectement modifiée. Plus précisément, si un exercice physique est bien calibré et bien placé dans le temps, il est possible d’observer des diminutions de la prise alimentaire ad libitum chez certains enfants et adolescents obèses, parce que cet exercice pourra modifier les concentrations des hormones qui contrôlent la prise alimentaire. Une étude menée au laboratoire AME2P il y a quelques années a montré qu’il est possible de changer l’activation du cerveau en réponse aux stimuli alimentaires, en fonction de l’exercice physique. Notre axe principal de recherche est d’essayer de
trouver quelles sont les caractéristiques optimales de réalisation d’un exercice physique pour améliorer le contrôle de la prise alimentaire. Nous observons parfois une diminution inconsciente et involontaire de la prise alimentaire chez les enfants et les adolescents. Le plus compliqué est d’arriver à rentrer dans des restrictions alimentaires sans créer de frustrations ou de troubles alimentaires à long terme. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’exercice physique n’est donc pas seulement une source
de dépense d’énergie. En fonction de ses caractéristiques, il est aussi une source de bien-être physique et surtout un très bon moyen de contrôle de notre prise alimentaire et de notre appétit. Il faut comprendre que la balance énergétique n’est pas un apport moins une dépense, mais qu’elle est un nœud d’effets compensatoires. Plus clairement, meilleur sera mon niveau d’activité physique,
plus bas sera mon niveau de sédentarité, meilleur sera la physiologie de mon contrôle alimentaire. J’aime beaucoup l’image de « Il était une fois la vie » avec les petits chefs dans le cerveau et leurs manettes. Dès que vous bougez une manette, que ce soit la prise alimentaire, le sommeil, l’exercice physique, la température, l’humeur, etc., vous allez entrainer des effets compensatoires sur
l’ensemble des autres paramètres de notre métabolisme. Ce n’est pas aussi dichotomique que cela. Il est important de comprendre ces phénomènes compensatoires, pour pouvoir les accentuer quand ils sont bénéfiques, ou les freiner et les éliminer, puisque c’est ce qui est le plus compliqué chez les personnes qui veulent perdre du poids comme nos patients obèses. Tous ces phénomènes compensatoires, qui ont longtemps été oubliés, semblent être l’une des clés de réussite de nos programmes. Aujourd’hui, le plus difficile n’est pas de perdre du poids mais de maintenir cette perte de poids dans le temps.

De quels moyens et solutions innovantes disposons-nous aujourd’hui pour prévenir cette prise de poids pédiatrique ?

Aujourd’hui, il faut arriver à s’appuyer sur l’utilisation du numérique par les enfants. Il existe désormais des applications qui nous permettent d’effectuer un suivi, c’est-à-dire que nous sommes plus capables de comprendre leurs comportements parce que les applications nous donnent leur niveau d’activité physique, leur qualité de sommeil, etc. Nous sommes aussi capables de renseigner la fréquence de leurs repas. Les nouvelles technologies peuvent ainsi nous permettre de mieux comprendre leurs comportements en général et il faut désormais se reposer dessus pour mettre en place des interventions. Nous pouvons toucher et contacter directement les enfants puisque nous savons aujourd’hui que la plupart d’entre eux ont des smartphones et/ou des tablettes. Les nouvelles technologies permettent donc un meilleur « tracking » et un meilleur rapport avec les enfants. Cependant, il ne faut pas oublier que l’objectif est aussi de les éloigner des écrans. Il ne faut donc pas que cela devienne la seule solution, car cela risque d’augmenter leur temps d’écran. Maintenant que les écrans sont implantés chez les enfants, nous pouvons donc nous en servir pour en tirer du positif, mais il faut aussi bien connaitre les effets néfastes et les maitriser.

Qu’est-ce que le Report Card ? Quels sont ses objectifs, ses enjeux et les besoins auxquels il répond ?

Le Report Card est une démarche initiée par Marc Tremblay au Canada au milieu des années 2000. Il s’agit d’évaluer au niveau national plusieurs indicateurs en lien avec l’activité physique et la sédentarité des enfants et des adolescents, comme la place de l’école, le rôle des fédérations, des familles, de l’urbanisation, etc. Chaque année, ce rapport est remis au gouvernement canadien pour proposer des actions publiques. Ce Report Card Canadien a été généralisé en créant un mouvement  international qui s’appelle le Global Matrix. Il y a deux ans, le mouvement comptait 50 pays, et il a pour ambition d’inclure 70 pays cette année. Pour chacun des pays, les rapports suivent la même trame et évaluent les mêmes indicateurs, permettant d’évaluer les politiques et les stratégies qui sont en place, c’est-à-dire qui sont les acteurs, quelles sont leurs réalisations, quels sont les barrières et les leviers à l’activité physique.

En France, après les deux premiers rapports en 2016 et 2018, un troisième Report Card sera réalisé cette année. Il sera possible de suivre les évolutions des différents indicateurs et de les comparer au niveau international. En tant que pilote du Report Card pour la France, j’ai voulu favoriser une approche pluridisciplinaire, collégiale, avec des acteurs qui viennent de domaines variés. L’équipe d’experts est constituée de plusieurs membres de l’Onaps, de personnes de Santé publique France, de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (IRMES), d’universitaires et de professeurs agrégés en éducation physique et sportive. Chaque personne a une expertise spécifique pour chacun des indicateurs évalués. Ce travail prend de plus en plus d’ampleur et nous apporte des informations riches sur l’activité physique des enfants et des adolescents.
Le Report Card résulte dans un premier temps d’une observation de différentes actions et stratégies mises en place de manière à favoriser l’activité physique et lutter contre la sédentarité des enfants et des adolescents, autour de plusieurs indicateurs, aussi bien au niveau local qu’au niveau national. Il apporte seulement des observations et n’a pas pour objectif de mener des études complémentaires. Il n’émane pas d’une demande gouvernementale mais de la volonté d’acteurs de santé publique, avec pour ambition d’avoir une vision transversale permettant d’aider à améliorer les stratégies portées par les politiques publiques. L’objectif est qu’il soit considéré comme un outil supplémentaire pouvant  permettre d’interpréter de nouvelles informations sur la réflexion autour de l’activité physique et de la sédentarité des enfants et des adolescents.
Le Report Card a désormais pris une place importante au niveau national puisqu’aujourd’hui, des institutions gouvernementales le consultent pour orienter leurs propres actions ou pour décider de stratégies à mettre en place. Ce document est devenu un véritable outil pour les politiques publiques. La démarche reste pour le moment modeste et nous ne demandons qu’à l’améliorer. Nous avons la
chance en France que notre principal partenaire soit l’Onaps, qui apporte un rayonnement permettant d’avoir une voix et une crédibilité un peu plus importante auprès des institutions. L’observatoire nous apporte une visibilité et nous permet de toucher un public plus large. Les soutiens du Pr Martine Duclos et de l’ancienne ministre en charge des Sports Valérie Fourneyron renforcent cette crédibilité institutionnelle.

Quels sont les enseignements des deux premières éditions ?

Parmi les enseignements des deux premières éditions du Report Card, il faut savoir qu’au niveau international, nous sommes dans la bonne moyenne, parfois même dans la première moitié pour certains indicateurs. Ceux en milieu scolaire, par exemple, sont plutôt bien notés en France.

De plus, le Report Card permet de mettre en avant qu’il existe énormément d’initiatives menées sur le territoire. Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) réalisent de superbes enquêtes nationales sur l’activité physique et la sédentarité qui sont importantes. La preuve en est que pour certains indicateurs, ce sont les seules données disponibles à l’échelle nationale en population générale. Mais il existe beaucoup d’autres initiatives individuelles ou locales, menées par exemple par des universités ou des fédérations sportives. Très souvent, ces mêmes initiatives sont isolées et manquent d’évaluation objective, ce qui nous empêche d’en tirer des bénéfices au niveau local mais aussi national. Nous avons besoin d’une meilleure coordination dans l’évaluation des différentes initiatives, mais aussi d’une plus grande cohérence entre elles pour éviter une hétérogénéité trop importante. L’Onaps travaille à ce que les projets menés localement soient évalués de la même manière afin que les données soient comparables, et que l’on soit meilleurs dans nos analyses et donc dans nos recommandations. Cet axe d’amélioration sera sûrement une des recommandations du troisième Report Card en 2020. Le Report Card est très riche, mais il faut que nous réussissions à le rendre plus homogène pour en tirer encore plus d’enseignements.

Quelle est votre implication au sein de l’Onaps à titre personnel ?

Je suis membre du comité scientifique de l’Onaps. Notre présidente, le Pr Martine Duclos, m’a demandé de l’intégrer dès sa création, ce que j’ai accepté avec beaucoup de plaisir.
Il s’agit parfois d’orienter des questions : nous avons tous des missions dans nos institutions annexes, dans nos universités avec nos activités de recherche ou cliniques, et le but est d’informer l’Onaps d’un manque d’information sur le terrain.
Notre rôle est aussi celui de mettre en avant quelques données scientifiques. Chaque année, le colloque de l’Onaps est l’occasion de publier une position d’experts nationaux sur une thématique donnée, comme nous avons pu le faire l’année dernière sur l’activité physique en milieu professionnel. Nous sommes surtout au service de l’équipe opérationnelle de l’Onaps, qui a une activité débordante et qui a parfois besoin de relecture, d’avis extérieur. Il s’agit réellement d’une approche transversale,  c’est-à-dire que le comité scientifique n’est pas forcément en amont par rapport aux projets puisque la plupart du temps, l’équipe opérationnelle nous fait remonter des projets qu’ils ont menés, qu’ils mènent ou qu’ils souhaitent mener. Il y a donc une complémentarité, c’est-à-dire que nous allons suggérer des projets et nous sommes interrogés sur d’autres, notamment sur la manière de les évaluer, mais à aucun moment le comité scientifique ne dicte l’activité de l’équipe opérationnelle. Souvent, lorsque l’on emploie le terme scientifique, nous pensons tout de suite à la recherche et aux publications universitaires, mais ici il s’agit surtout d’une approche méthodologique pour des actions qui ne donneront pas forcément lieu à des publications. C’est un comité de conseils qui n’est pas là que pour faire de la science.

Quel lien est entretenu entre l’Onaps et votre laboratoire ? Quels sont les travaux communs ?

Il existe un très gros lien entre nous, c’est que nous avons les mêmes mots-clés : activité physique, sédentarité, santé… Ce qui veut donc dire que les travaux menés dans notre laboratoire peuvent apporter des réponses plus explicatives au niveau mécanistique ou comportemental pour mieux comprendre tous les chiffres et toutes les statistiques épidémiologiques que discute et que fournit l’Onaps. Notre laboratoire permet, grâce à la recherche, de donner des mécanismes qui peuvent appuyer les orientations données par l’Onaps. Il existe donc une complémentarité puisque nos mots clés sont les mêmes, mais nous ne travaillons pas au même niveau, l’Onaps étant plutôt sur le volet épidémiologique alors que le laboratoire apporte des réponses plus mécanistiques.

Le mot de la fin ?

Nous avons créé un monde aujourd’hui pour lequel nous ne sommes physiologiquement et psychologiquement pas faits. Il est trop tard désormais pour faire demi-tour sur beaucoup d’aspects. En revanche, en faisant des efforts sur nos rythmes de vie (activité physique, sommeil, alimentation, sédentarité…), nous pouvons améliorer les choses au niveau individuel mais aussi collectif. Nous avons besoin à la fois d’organismes nationaux comme l’Onaps qui collecte et synthétise les informations, mais également de plus de recherche pour pouvoir orienter les actions à mettre en place.

David Thivel

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