CHRISTELLE REPOND

Numéro 6, juillet 2017

Infirmière libérale et infirmière déléguée à la santé publique (IDSP) au sein de l’association ASALEE.

Pouvez-vous m’expliquer brièvement en quoi consiste le métier d’infirmier(e) en général ?

Les tâches inhérentes au métier sont vastes, mais communément c’est la réalisation d’actes qui vient à l’esprit : pansements, injections, perfusions… Mais notre métier ne se résume pas à ces actes, nous sommes soumis au code de la santé publique et occupons par conséquent des rôles multiples.

Nous avons une mission prescrite, d’auxiliaire médical, où nous appliquons les prescriptions médicales d’un soin technique ou d’une délivrance de traitement.

Nous avons également un rôle autonome moins connu qui consiste à observer les patients pour faire un état des lieux et dresser une conclusion. C’est une fonction indépendante d’une hiérarchie, et valorise notre rôle d’infirmier dans la promotion de la santé par exemple.

Nous sommes environ 600 000 infirmiers en France répartis dans des structures différentes, telles hôpital et clinique, structures associatives, médecine du travail, médecine scolaire…. Nous sommes environ 100 000 à exercer en libéral.

Nous sommes unis par un même diplôme, par le code de la santé publique et le code de déontologie. Ensuite, nous avons la possibilité de nous spécialiser.

Quelle est votre fonction dans la chaîne de soins ?

Tout dépend du lieu d’exercice. Dans le cas de l’exercice libéral, nous fonctionnons sur prescriptions médicales ou formulaires d’entente préalable, c’est de la réalisation d’actes. Mais nous pouvons aussi avoir notre rôle autonome, d’observation d’une situation pour être force de proposition par la suite.
Par exemple pour illustrer le rôle de surveillance clinique et de prévention : si une personne a des difficultés à suivre son traitement, nous allons nous inquiéter de savoir si elle s’alimente correctement, voit du monde, est isolée, a une activité…
Nous allons également nous enquérir de son mode de vie pour recueillir des éléments par rapport à sa maladie et à sa vie en général. Toute cette observation se réalise pendant l’acte prescrit.

Revenons à votre « spécificité », infirmière ayant intégré le protocole de coopération ASALEE, qu’est-ce que cela signifie ? Quelles sont vos missions dans ce cadre ?

ASALEE c’est l’acronyme de « Action de santé libérale en équipe ». L’association regroupe des médecins libéraux, des infirmier(e)s et une équipe d’ingénieurs en santé.
En 2004, une expérimentation a été menée dans les Deux-Sèvres à l’initiative de médecins qui pensaient que cela serait intéressant de travailler avec des infirmier(e)s pour faire des suivis optimisés, notamment des maladies chroniques, et pour que les patients gagnent en qualité de vie. Cette expérimentation a été évaluée et jugée efficiente12. Il y a maintenant un déploiement national avec environ 400 infirmier(e)s participant au dispositif ASALEE sur le territoire.
Dans ce cadre, nous avons des protocoles bien établis :

  • dépistage et Suivi du patient diabétique de type 2,
  • suivi du patient à risques cardiovasculaires,
  • dépistage de la bronchopneumopathie chronique obstructive(BPCO), suivi du patient tabagique
  • repérage des troubles cognitifs ;

Outre les actes dérogatoires établis dans le protocole de coopération, nous sommes dans une dynamique d’éducation thérapeutique du patient (ETP). Nous travaillons dans l’optique que le patient puisse lui-même modifier son mode de vie pour être plus protecteur pour sa santé. Nous orientons souvent vers de l’activité physique.
Je suis ravie de faire partie de l’association ASALEE, c’est une expérience en soins formidable. Néanmoins, j’ai des confrères et consoeurs qui n’y sont pas et qui peuvent créer une même dynamique dans un autre domaine. Je pense au protocole de la fragilité 3 qui est un autre exemple de coopération médecins-infirmiers. Sans paraitre chauvine…le gérontopole de Toulouse est très actif dans ce domaine.
La définition retenue par la société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) est la suivante :
« La fragilité est un syndrome clinique. Il reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux. Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’événements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisation et d’entrée en institution. L’âge est un déterminant majeur de fragilité mais n’explique pas à lui seul ce syndrome. La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible » (Rolland 2011).
Concrètement les infirmier(e)s formés au dépistage du risque de la fragilité et ayant signé un protocole de coopération avec un médecin, repèrent des personnes à domicile potentiellement fragiles. L’état constaté fragile (et qui peut engendrer une dépendance) est un état potentiellement réversible s’il est détecté précocement, et grâce à des actions de soins personnalisées la personne peut redevenir en état dit « robuste ». Après avoir effectué une batterie de tests, l’infirmier rendra un compte rendu avec des préconisations… L’idée est d’insérer ces actions dans une dynamique de territoire. La place de l’activité physique est importante notamment pour agir contre la sarcopénie.

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a donné envie de rejoindre ASALEE ?

C’est une rencontre avec une collègue déjà « formée ASALEE » qui avait commencé 6 mois plus tôt.
Cela fait un moment que je suis dans cette dynamique : j’ai terminé une formation en ETP en 2013. Il me semble que c’est important que les personnes soient actrices de leur santé. C’est un peu mon leitmotiv. Le rapport de la Haute autorité de santé (HAS) sur les pratiques non médicamenteuses de 2011, m’a également influencé. Il est riche en informations notamment sur le mode de vie. J’ai suivi une formation ASALEE en août 2016, sur les protocoles de coopération, et ETP puis du compagnonnage entre pairs. J’ai démarré l’activité en novembre 2016.
Selon moi, si nous nous inscrivions dans une démarche de prévention et d’accompagnement pour un mode de vie favorable pour sa santé, nous agirions de façon protectrice et positive. De plus si les acteurs de la santé se connaissaient mieux, il y aurait une meilleure fluidité et nous pourrions répondre plus rapidement à une problématique donnée.

Quel est le message véhiculé par ASALEE sur l’activité physique ?

Nous rencontrons tellement de problèmes de santé différents qu’il ne peut y avoir un seul message. C’est là qu’intervient notre rôle propre, l’observation appelée encore le raisonnement clinique.
Nous essayons de voir ce qui se passe, d’émettre des hypothèses ensuite nous faisons des propositions d’actions. Tout cela en co-construction avec la personne. C’est une démarche d’éducation thérapeutique (médecin-infirmier-patient).
Nous sommes dans le paradigme de « l’être avec ». Nous ne sommes plus dans le « ya qu’à faut qu’on ». Effectivement il peut y avoir plein de freins mais il faut aller plus loin que le « c’est bon pour vous de faire ça ».
La problématique est d’accompagner la personne pour qu’elle en soit convaincue et qu’elle ressente vraiment le besoin et surtout les bénéfices de l’Activité Physique sur sa santé. Nous travaillons l’estime de soi, la confiance, l’accompagnement, jusqu’à ce qu’elle puisse modifier son comportement pour être prête à faire de l’activité physique et sentir le bien amené par la pratique.

J’imagine que c’est des échanges sur la durée que vous avez avec les patients ?

Oui, au sein d’ASALEE c’est vraiment le patient qui détermine les conditions. Nous travaillons les facteurs de motivation dans l’éducation thérapeutique. C’est en lien avec la psychologie de la santé donc ce n’est pas si simple. À chaque stade de motivation, nous sommes là pour l’accompagner.

Comment le patient fait-il pour rentrer dans ASALEE ?

ASALEE est un protocole de coopération médecin –infirmier dans un cabinet médical. En général, c’est par le médecin traitant qui, au cours d’une consultation, proposera au patient un suivi avec un(e) infirmier(e) en rapport aux quatre protocoles définis.

  • dépistage et suivi du patient diabétique de type 2,
  • suivi du patient à risques cardiovasculaires,
  • dépistage de la bronchopneumopathie chronique obstructive(BPCO), suivi du patient tabagique
  • repérage des troubles cognitifs ;

Ensuite nous balayons l’environnement, le mode de vie… .En co-construction avec la personne nous établissons ce qui pourrait être envisagé pour qu’elle gagne en qualité de vie. Est-elle en situation d’isolement social ? Peut-elle se rapprocher d’un territoire ? Pratique-t-elle une activité physique ou sportive suffisante ? Est-elle sédentaire ? Sa nutrition est-elle équilibrée ? Nous touchons toutes les dimensions de la santé.

Quels sont les principaux problèmes de santé que vous rencontrez dans l’exercice de votre profession ?

Je côtoie tous types de problèmes de santé : cancer, conséquences d’un accident de la vie, c’est tout un panel.
Nous pouvons faire une photographie à un moment précis chez une personne avec un raisonnement clinique et émettre des hypothèses pour être force de propositions et orienter vers un réseau.
Par exemple, il y a les centres locaux d’information et de coordination (CLIC) pour la dépendance des personnes âgées, les centres communaux d’action sociale (CCAS) et d’autres dispositifs comme les méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soin dans le champ de l’autonomie (MAIA).
De nombreuses actions qui existent, par exemple les ateliers équilibre pour les seniors, que nous, soignants, appelons « prévention chutes ».il doit y avoir encore d’autres actions que nous ignorons .Le fait de créer un réseau sur son territoire permet de gagner en qualité de vie pour les personnes que nous prenons en charge. Cela relève du domaine infirmier mais si chacun veut le mettre en application je pense sincèrement qu’il le peut.

La coopération entre acteurs de la santé peut-elle être une solution pour adapter l’offre de soins aux problèmes de santé évoqués précédemment ?

Oui car plus nous serons dans une dynamique de prévention et d’anticipation et mieux ce sera en termes de prise en charge de pathologies chroniques ou de risques de dépendance.
Nous vivons de plus en plus vieux et avons donc plus de risques de développer des maladies chroniques. Il faut davantage de connaissance et surtout de cohérence entre tous les acteurs (soins, médico-social…).
Nous avons tous envie de la même chose, la volonté sur le terrain est là, la question est de savoir comment se coordonner. Je pense que c’est un axe pour répondre aux problématiques actuelles de santé.
Un infirmier est à même d’intervenir à chaque étape du parcours de soin : le repérage, l’accompagnement, la mise en place d’actions ou la participation à un appel à projets.
Par exemple, en 2014, dans le cadre d’un appel à projet ARS, nous avons constitué une équipe comprenant un médecin généraliste, un médecin diabétologue, une secrétaire pour la coordination d’équipe, une diététicienne, une éducatrice sportive et moi-même. Au cours de deux demi-journées, nous balayons tous les aspects du diabète de façon très concrète. À cette occasion les interactions entre professionnels se créent. Au terme des journées, le bénéficiaire reçoit une attestation de suivi de stage en éducation thérapeutique et une copie pour son médecin dans la cadre du parcours de soin.

Selon vous, quelles pourraient être les autres solutions ?

D’une manière générale, je pense qu’il faut une meilleure connaissance de tous de l’offre de soins sur son territoire et une bonne communication. Ainsi les relations seraient fluidifiées. Nous nous connaitrions plus ce qui favoriserait le travail partenarial .Cela permet de connaitre l’existence d’actions d’éducations thérapeutiques, de ne pas cloisonner les personnels de santé et l’ensemble des actions, fédérer…
Ainsi nous serions dans la même dynamique et cela pourrait participer à résoudre un problème de santé.
Par exemple, le décret « Sport sur ordonnance », j’y suis favorable, c’est une très bonne chose. Par contre, selon moi il y a une lacune : comment les personnes vont connaitre l’offre d’activités qu’il y a sur le territoire ? L’offre est-elle adaptée à la problématique ? Comment la personne fait-elle pour s’inscrire ?
Alors qu’avec plus de fluidité, la réponse apportée aurait été : « voilà, il y a tel et tel club ici ou là »4. Il y aurait une meilleure adhésion et cela serait plus simple. Bien sûr, j’entends que ce n’est pas réalisable à grande échelle. Il faut cibler des territoires à taille humaine. Je me rends compte que beaucoup de personnes peuvent faire des repérages, c’est le cas parfois des assistantes sociales, mais c’est difficile de faire aboutir ces observations.
Nous parlons fréquemment de risques, d’altérations, en termes négatif dans la santé. Précédemment, je vous parlais de « prévention des chutes » (terme utilisé par un soignant) et « d’ateliers équilibre » (terme utilisé par un éducateur sportif), ce n’est pas anodin, c’est culturel. C’est pour cela qu’une rencontre est intéressante entre différents mondes, cela permet une harmonisation des connaissances et une meilleure efficacité dans ce que nous proposons.

Les notions d’APS et/ou de lutte contre la sédentarité sont-elles simples à intégrer dans le mode de vie du patient ?

Rien n’est simple (rires). C’est important de travailler sur une éducation thérapeutique ou du soutien : nous travaillons sur les représentations qui, souvent, conditionnent le patient.
Chacun fonctionne différemment et chaque cas est unique. Le travail sur les représentations permet de savoir comment rendre les gens acteurs et surtout être dans le plaisir. C’est pour cela que la co-construction et la notion d’ « être avec » sont importantes. Cela pérennise les bonnes pratiques et répond également à une philosophie de la personne. Nous sommes là aussi pour les aider à oser, une personne se dévalorisant n’ira pas vers les autres si nous ne l’aidons pas à résoudre ce problème de confiance en elle.

Un mot sur vos collègues infirmier(e)s : montrent-ils le bon exemple pour lutter contre la sédentarité ?

Je pense que l’on s’oublie. Il y a quelque temps, un point m’avait frappé : le taux d’absentéisme infirmier exerçant en structure par rapport à un autre corps de métier était vraiment plus faible.
C’est une profession où nous prenons beaucoup sur nous. Je serais incapable de vous dire si on change avec l’avancée en âge… Je n’ai pas l’impression qu’on soit très prévenant envers nous-mêmes.

Nous sommes sensibilisés à l’éducation thérapeutique, à la promotion de la santé. Notre métier évolue sans cesse et se structure par rapport aux maladies chroniques. On ne parlait pas jusqu’à présent de consultation infirmière. À force d’évoluer, nous prendrons peut-être plus soin de nous. Je pense que lorsque nous sommes dans une mouvance d’accompagnement, d’« être avec », nous réalisons plus les choses et prenons plus soin de nous.

Le mot de la fin ?

Quand nous abordons un soin, nous prenons la personne dans sa globalité avec toutes les dimensions. Nous faisons ensuite un raisonnement clinique, une observation et proposons des interventions. Nous avons un langage international sous forme de diagnostic infirmier ; par exemple sur l’estime de soi, le mode de vie sédentaire. Un autre changement conséquent de la profession est que nous osons enfin à écrire et participer à des travaux de recherches.
Enfin, je voudrais vous citer deux associations de confrères et consoeurs. Une sur Toulouse « Sidéral santé » qui fédère plusieurs associations dont l’objectif est de s’interroger sur comment améliorer sa pratique professionnelle, répondre à des appels à projets, faire des actions différemment et être dans une dynamique. Il en est de même dans le Gard avec l’association AILBA. Il y a une volonté qui s’installe de penser, d’agir différemment et de valoriser notre rôle infirmier.

(1) https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/tr3_j._gautier.pdf
(2) https://www.youtube.com/watch?v=NUy_2zEZKHI
(3) https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1602970/fr/comment-reperer-la-fragilite-en-soins-ambulatoires
(4) Voir par exemple le travail de recensement des sites Sport santé Auvergne Rhône-Alpes, Sport santé Pays de la Loire ou Réseaux de santé de Champagne-Ardenne

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